Bataille pour l’Île-à-Vache: Interview avec Jérôme Genest de KOPI
Par Dady Chéry
Haiti Chéry
L’Organisation des agriculteurs de l’Île-à-Vache (KOPI, ou Konbit Peyizan Ilavach) a été à l’avant-garde d’une lutte entre la branche exécutive du pays et les habitants de cette île agricole de 52 kilometres carrés au sud d’Haïti. Le conflit a commencé après un décret de l’administration qui a declaré que l’Île-à-Vache deviendrait une zone de développement touristique et d’utilité publique. Entre autre, cet décret a retiré l’île de la gouvernance locale et l’a mise directement sous le contrôle du Ministère du Tourisme du gouvernement central. En effet, les membres de l’exécutif restent accusés d’avoir un intérêt financier et personnel dans l’île et ses revenus potentiels en tant que destination touristique. Le conflit entre les habitants de l’île et l’administration Martelly-Lamothe, mise en place par Clinton, a été exacerbé par le refus du gouvernement de consulter la population sur la façon de développer l’île. La cholère a explosé chez les habitants quand ils ont decouvert, par fait accompli, que la mise en œuvre du projet touristique etait en cours par l’apparence du personnel d’arpentage tout autour de l’île et d’une entreprise de construction dominicaine, Ingenieria Estrella.
Depuis l’apparition initiale des équipes de construction en Septembre 2013, des champs de mangroves ont été coupés, une route trop large, traversant l’île de l’est à l’ouest a été ebauché en massacrant la seule forêt de l’île, et des fouilles on commencé sur une côte vierge pour un port qui accueillirait les navires de croisière: tout ceci, ironiquement au nom de l’écotourisme et sans aucune compensation pour les propriétaires. Les discussions entre la ministre du tourisme et les habitants, qui ont boisé l’île et on fait l’élevage et la pêche durable depuis un siècle, les ont laissé peu informés, frustrés, et convaincus qu’ils seraient expulsés pour créer de l’espace pour des touristes riches. Pour aggraver encore les choses, la réponse du gouvernement à une série de manifestations pacifiques et des actions pour bloquer la construction, dirigées par KOPI, a été de remplacer le gouvernement locale avec des amis de Martelly, introduire une grande présence policière et paramilitaire, et arrêter le vice-président du KOPI, Jean Matulnes Lamy. M. Lamy a été emprisonné sommairement, sans procès, au pénitencier national infâme d’Haïti depuis le 25 Février 2014, et la police sur l’île est accusé maintenant de nombreuses violations des droits de l’homme.
News Junkie Post a récemment fait le point avec Jérôme Genest, membre du KOPI pour une discussion sur l’histoire de l’Île-à-Vache, une mise à jour de la situation sur l’île, et les idées de KOPI sur la façon de préserver la beauté et la culture de l’île, et obtenir la libération de Jean Matulnes Lamy.
Dady Chéry. Merci pour cette interview, M. Jérôme Genest. En tant que représentant de KOPI, pourriez vous dire à nos lecteurs quelle est la population de l’île qui détient des dons ruraux et des droits de fermage?
Jérôme Genest. En 1950, sous le règne de Papa Doc/François Duvalier, des terres furent données à 300 familles sur l’Île-à-Vache, environ 40 pour cent de la population. Avant cela les habitants payaient des droits de location, mais les taxes furent abolies et les habitants exonérés de droits en autant qu’ils cultivaient la terre. En 1990-91, avec la construction de l’hôtel Port Morgan, Didier Boulard, le propriétaire, se vit imposer des taxes. En ce moment à l’Île-à-Vache, les habitants ne paient pas d’impôts fonciers.
DC. Les dons ruraux et les droits de fermage qui ont été donnés par l’État dans les années 1950: Étaient ce la plupart pour des terres de la côte?
JG. Les terres données sous le gouvernement de François Duvalier se situaient un peu partout sur l’île et pas seulement sur les côtes.
DC. Comment se font l’agriculture et l’élevage sur l’Île-à-Vache?
JG. Les méthodes d’agriculture sont toujours archaïques. Il n’y a pas de machinerie agricole. Tout se fait à la main ou à l’aide de bœufs. Cependant il y a des techniciens agricoles qui cultivent des parcelles de terres et qui, avec leurs connaissances, tentent de maximiser et de diversifier les cultures.
DC. La Ministre du Tourisme s’est plainte que les filets de pêche utilisés par les pêcheurs de l’île sont inacceptables. Comment se fait la pêche en Île-à-Vache?
JG. Les filets de pêche ont souvent des mailles trop petites et donc attrapent aussi des petits poissons. Il y a un effort de sensibilisation à ce propos auprès des pêcheurs afin de les inciter à utiliser des filets à plus grosses mailles et ainsi préserver la ressource en laissant échapper les plus petits poissons.
N’oublions pas que les pêcheurs sont souvent très pauvres et pratiquent le plus souvent une pêche survivière, servant à les nourrir. Ils pêchent donc avec le matériel qu’ils ont, ils n’ont pas toujours les moyens d’acheter du matériel plus adéquat ou conforme à des normes. Au lieu de les blâmer, nous devrions les aider.
DC. Le gouvernement a dit qu’il lui faudra 12 plages pour son projet touristique.
JG. L’île-à-Vache compte 10 plages au total. Si le gouvernement prend possession de toutes celles-ci pour son plan touristique il ne restera plus d’accès pour les pêcheurs et la population en général.
En ce moment les pêcheurs continuent de pêcher comme ils l’ont toujours fait. On ne sait toujours pas ce qui adviendra après la mise en place du projet.
DC. Jean Matulnes Lamy a dit, dans une interview a la radio, que la ministre du tourisme veut prendre des plages à partir de Grand Sable, puis en suivant la côte ouest et vers le sud, jusqu’à Skannot. Seraient-ce toutes les plages de l’île?
JG. Les communications avec le Ministère du Tourisme sont pratiquement nulles, donc les habitants ne sont pas trop au courant. Il est impossible de savoir précisément ce qui se fera, où et quand. Les habitants sont les derniers informés. Mais dans le plan initial toutes les plages étaient accaparées pour des constructions de bungalows ou d’hôtels.
DC. Qu’est ce qui a été rasé sur l’île par les travaux de construction et qu’y avait-il avant?
JG. La zone de construction de la piste pour l’aéroport a enlevé à la population un endroit commun que l’on pourrait qualifier de surplus, d’enrichissement pour la population. Je m’explique: dans cette zone il y avait jadis des abeilles, on cultivait des légumes (par exemple, manioc, patates) il y avait des arbres fruitiers et même des champignons (djon-djon). C’était aussi un endroit de paturage pour les moutons et les chèvres. C’était, en bref, un endroit où les gens pouvaient cultiver et recolter en plus de ce qu’ils cultivaient sur leurs terres. Cela leur permettait un surplus bien apprécié.
La construction de la route, qui traverse l’île d’est en ouest, pour permettre le transport éventuel de matériel et de touristes depuis l’aéroport et la future marina de Madame Bernard, a non seulement empiété sur des terrains, mais aussi endommagé des maisons dont certaines se sont retrouvées tout au bord de la route et d’autres encore dont les fondations ont été ébranlées et endommagées par les vibrations des grosses machines utilisées pour la construction.
De plus bon nombre d’arbres fruitiers comme des manguiers, des cocotiers, des citronniers et des avocatiers ont été abattus ou abîmés durant le processus. Et bien sûr, sans aucun dédommagements pour les agriculteurs.
DC. Il y a aussi le projet pour un terrain de golf de 18 trous, des villas, cafés et restaurants. Ces projets, ont ils le soutient de la population?
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JG. Les gens bien informés, et c’est l’un des rôles du KOPI, sont contre le projet tel que présenté.
L’emplacement du futur terrain de golf est un des endroits les plus fertiles de l’île où sont cultivés de nombreux légumes dans une terre riche et productive. Ce serait une grande perte pour les habitants.
On veut construire, et on a commencé à draguer pour ce fait le fond de la mer, une marina à Madame Bernard pour accueillir de gros bateaux. Cela encore exclusivement aux touristes et non aux petits bateaux qui viennent des Cayes pour le marché hebdomadaire.
L’île-à-Vache est habitée dans toutes ses parties. Bien sûr, quand on fait un survol en hélicoptère on ne perçoit pas toujours toutes les habitations qui sont bien intégrées à la nature. Ce sont de petites “cayes,” des maisons basses. Qu’adviendra-t-il des habitants avec la construction de villas? On devra nécessairement les déplacer. Où iront-ils? Comment calculera-t-on leurs dédommagements? Nous ne possédons aucune information à ce sujet. Les délogés perdront non seulement leurs terres mais leur milieu de vie et leur gagne-pain.
DC. Déjà, la zone de l’aéroport a été degagée, et le port est en train d’être creusé. Ce genre de dégats est presqu’impossible à réparer. Dans ce sens, le temps n’est pas de votre côté. Est ce que KOPI ou d’autres organisations / ou personnes sont en train de formuler un plan de developpement alternatif pour l’île?
JG. Il existe un plan de développement alternatif, élaboré par “Architecture for Humanity,” mais ce plan n’a pas été retenu par le gouvernement haïtien. Et puis, comment peut-on proposer un plan alternatif, si on ne sait pas ce que comporte le plan actuel?
DC. M. Genest, les responsables du KOPI ont dit qu’ils accueillent le développement mais voudraient un autre type de développement. Qu’en pensez vous?
JG. Le KOPI prône un Éco-Tourisme qui permettrait de préserver la nature de l’île tout en étant inclusif et qui pourrait être réellement profitable à toutes les classes de la population, pas seulement aux hôtelliers. Un plan de tourisme écologique pourraît, sans exclure quelques hôtels plus luxueux, offrir des gites et des restaurants gérés par des île-à-vachois, ce qui aiderait directement l’économie locale. Pourquoi ne pas aider les gens à monter des commerces qui respecteraient la culture et l’ambiance unique de l’île?
Il y a des terrains moins exploités qui peuvent aussi servir à la construction d’infrastructures.
Mais le plan tel qu’il est prévu actuellement ne tient aucun compte des habitants.
Le KOPI n’est pas contre le développement, mais il est contre l’exclusion des habitants de l’île du plan de développement.
DC. Le gouvernement haïtien a annoncé au début du mois d’avril 2014 que le gouvernement cubain pourrait construire un hôpital a l’Île-à-Vache et faire une campagne d’alphabétisation dans les six mois prochains. Est-ce que cela s’accorde avec le type de développement dont vous pensez?
JG. Un gouvernement digne de ce nom a le devoir de fournir à ses habitants des services et des infrastructures pour sa subsistence et son bien-être: hôpitaux, eau, électricité, transports, éducation. Cela fait partie intégrante de son mandat. Cela n’est pas supposé faire partie d’un “plan,” surtout pas touristique, car à ce moment-là on peut supposer que ces services et infrastructures seront mis en place non pas pour la population, mais prioritairement pour les touristes et les investisseurs.
Il existe déjà une vingtaine d’écoles sur l’île. Il y en a deux à Kay Kok, alors pourquoi en construire une autre? L’éducation doit être une priorité, mais une campagne d’alphabétisation à ce moment-ci n’est pas une urgence, car environ 98 pour cent de la population de l’île peut assez bien se débrouiller pour lire, écrire et compter, même si le niveau est parfois assez bas. Ce qui serait prioritaire au niveau de l’éducation serait par exemple une école pour la pêche, pour que les futurs pêcheurs apprennent le métier et acquièrent des connaissances pratiques. Il faudrait aussi aider les écoles déjà établies. Il n’y a aucune proposition en ce sens, donc l’éducation ne semble pas réellement une priorité pour ce gouvernement.
DC. D’autres habitants disent que l’île a grand besoin d’un lycée et n’aiment pas le fait que les élèves de cet âge doivent aller aux Cayes.
JG. Il y a une vingtaine d’écoles sur l’île, mais effectivement pas de lycée. Cependant il serait illusoire de penser qu’un lycée garderait tous les jeunes à l’île. Beaucoup doivent apprendre des métiers. Ce qui serait vraiment utile serait une école de pêche et une école d’agriculture pour perpétuer la vocation de l’île et offrir de la formation pertinente.
DC. Que fait KOPI pratiquement pour la libération de Jean Matulnes Lamy et l’abolition du décret?
JG. Le KOPI a demandé à rencontrer le Président Martelly, car ce serait lui qui empêcherait la libération de Matulnes. Le KOPI, de concert avec la population est prêt à laisser tomber certaines de leurs demandes en autant que l’on libère Matulnes, emprisonné, rappelons-le, sans accusation depuis plus de 3 mois.
DC. Comment les gens en général, et les Haïtiens en Haiti et dans la diaspora, pourraient ils aider la population de l’Île-à-Vache?
JG. En posant des questions et en demandant des réponses aux responsables; en dénonçant la situation dans les médias; en soulignant les dégâts qui sont et seront causés à l’environnement, à la nature et à la population paysanne. En dénonçant les violations des Droits de l’Homme, l’arrestation de Matulnes, en faisant pression auprès du gouvernement, des ambassadeurs, en le faisant savoir directement à la ministre du Tourisme et en venant à l’île-à-Vache parler aux habitants et se rendre compte de la situation. Beaucoup de gens parlent de l’île et trouve le projet formidable mais ils n’y ont jamais mis les pieds.
DC. Je vous remercie M. Genest, pour cet entretien.
Notes de la rédaction: Haiti Chéry et News Junkie Post remercient Mélinda Wilson pour son assistance à cet entretien. Photos un, quatre, cinq, dix, onze et quatorze par Noah Darnell. Photos deux, six, sept, huit, neuf, et treize par Mélinda Wilson.
Sources: Haiti Chéry | News Junkie Post (anglais)
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